REFLEXION  
     

Nourrir sa vie !

Toute la vocation de mon être, et ma seule responsabilité, est dans le soin que je prends d'entretenir et de déployer  ce potentiel de vie dont je suis investi pour le mener à son plein régime. Plus que "se maintenir en forme" comme le dit l'expression commune, c'est en nourrir l'essence et l'énergie en en préservant le "tranchant". Cela suppose de non seulement restaurer ses forces à mesure qu'on les dépense, mais aussi  d'aviver ses capacités en épurant son être. Il ne s'agit pas bien sur ici de se limiter à la simple "forme" physique . ( nous savons bien en tant que combattant combien  "physique" et "psychologique" sont inséparables !)

  • Accéder à la "transparence du matin" !

Par la "voie", je suis conduit à me délivrer de ces points de fixation, de blocage et de pesanteur, faisant grossièrement écran, que sont toutes ces affaires du monde vis-à-vis de mon flux et dynamisme intérieur. En me "clarifiant" et "décantant" de jour en jour, je parviens à traiter comme "extérieurs", et donc n'embarrassant plus ma vitalité, le "monde entier", les "choses" et jusqu'aux soucis de la "vie". J'accède alors à la "transparence du matin" où s'abolissent à la fois passé et présent et où plus rien, dès lors, du sein même du "tumulte", ne fait obstacle à la "placidité" qui définitivement atteinte, "nourrit" la vie.

  • La "pie étrange"

Il est conté que Zhuangzi, flânant dans un jardin, est surpris par une pie qui l'effleure et se pose près de lui. "Cet oiseau a des yeux  immenses et pourtant il ne m'a pas vu", s'étonne le philosophe chinois. Il est manifeste qu'il n'a pas su faire usage de ses capacités naturelles, mais pourquoi ?

En observant de plus près, voila ce qu'il vit : une cigale venait de trouver un bon coin frais et "s'oubliait elle-même". Une mante se préparait à attraper la cigale, cramponnée à une feuille, et oubliait elle aussi de veiller sur "son propre être". Quant à la pie, elle avait suivi les deux insectes en ne songeant qu'à profiter de la bonne aubaine. C'est l'appât de ce profit qui lui avait fait oublier elle aussi "sa vraie nature" au point de se mettre en danger.

 

  • Chacun dispose d'un capital de vie ...à préserver sous la pression dévorante d'un "dehors" (préoccupations, peurs, désirs...)

 

  • Se maintenir évolutif

 Nourrir sa forme physique ne suffit pas à maintenir sa vitalité. Le premier point est la condition "nécessaire" mais non suffisante du second. Alors que faut-il de plus ?

Le "nourrissement" n'est pas progrès vers, mais il est renouvellement. Ce n'est pas de progresser vers un idéal mais simplement de demeurer évolutif. Qu'est ce qui " traîne" en moi, que j'aurai à "fouetter" pour continuer d'avancer ?

Voici Shan Bao qui vivait parmi les rochers et ne buvait que de l'eau: n'ayant aucun rapport de profit et donc de souci avec les hommes, il a pu préserver son potentiel vital. A 70 ans il possède le teint d'un petit enfant. Un jour cependant il rencontre un tigre affamé qui n'a aucune peine à le dévorer.

Voici Zhang Yi: Il n'est pas de nobles demeures dont il n'ait été l'hôte assidu mais à 40 ans il est  tout miné de l'intérieur et une simple fièvre le terrasse.

L'un a nourri son intérieur mais le tigre l'a mangé au-dehors, l'autre a nourri son dehors mais la maladie l'a attaqué au-dedans. Ni l'un ni l'autre n'ont su "fouetter" ce qui traînait à l'arrière.

  • La voie du milieu

Cette voie n'est pas une équidistance entre deux extrêmes. Ce n'est pas se retirer au-dedans "au point de se tenir caché" sans rapport avec autrui ni s'activer au-dehors au point d'être continuellement exposé aux pressions, intrigues... et que faute de relâchement on est rongé par les préoccupations. Le tort est de s'attacher à l'une ou l'autre de ces positions et de s'enliser en elle en se coupant de la position adverse.

"Quand on fait du bien, ne pas aller jusqu'à acquérir du renom ; quand on fait du mal, ne pas aller jusqu'à encourir de punition." Peu importe que ce soit en "bien" ou en "mal", l'important est de ne pas se laisser coincer dans une position qui deviendrait un piège pour sa propre vitalité.

  • Nourrir sa vie sans  la "forcer" !

Le Sage ne laissera sa conduite ni s'embarrasser dans des savoirs, ni s'engluer dans des accords, ni s'enliser dans des vertus, ni s'entraver dans des succès... "Nourrir sa vie" consiste à se débarrasser de tous ces "trop" qui ne font que "forcer la vie" .

   

(Inspiré d'un livre de François Jullien - "Nourrir sa vie à l'écart du bonheur" paru chez Seuil -ISBN: 2-02-079217-6)

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