Il existe un décalage
considérable entre la tradition de l'art martial japonais et la pratique
sportive contemporaine du karaté, au Japon comme dans les autres pays.
Bien que le karaté sportif
soit issu de l'art martial traditionnel japonais ou budo, il faut
distinguer deux formes de pratique, l'une qui tend vers la compétition
sportive et l'autre vers une formation de la personne à travers la
pratique de l'art, ce qui est une des caractéristiques des arts martiaux
traditionnels japonais ou budo.
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De nos jours,
beaucoup de pays ont atteint un niveau comparable du point de vue
sportif, leur ouvrant les premières places des podiums.
Autrement dit,
dans les compétitions sportives de karaté il y a une sorte de
plafonnement lié au système des règles adopté. Il n'y a pas
véritablement de différence de niveau entre le premier et les suivants:
des éléments aléatoires font la différence. L'un peut gagner un jour et
un autre la fois suivante, en fonction de la condition physique ou
de la chance. C'est probablement cela qui fait l'attrait du sport.
On peut constater que vers la
trentaine, les karatékas sportifs commencent à entrer dans une phase de
déclin et renoncent progressivement
à être les meilleurs en combat.
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Il en va différemment, en budo,
la période d'efficacité est plus longue puisqu'à la formation technique
s'ajoute une recherche d'acuité dans la prévision des réactions de
l'autre. Cette acquisition passe par une remise en question de soi qui
repose sur un travail d'introspection se développant avec la maturité de
la personne dans sa totalité.
Si le sport vise la
performance immédiate dans un système de règles, le budo est une
recherche de l'efficacité avec une perspective de développement tout au
long de la vie. C'est pourquoi aussi les méthodes de budo peuvent
déboucher sur une acquisition de bien-être. Telle est la perspective à
développer qui vise à reprendre, sous une forme adaptée à la société
contemporaine, l'acquis culturel des arts martiaux japonais.
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Dans la culture
des guerriers japonais, les méthodes du combat ont été développées avec
un volontarisme très poussé allant jusqu'à l'épuisement pour essayer, en
le dépassant, de trouver des ressources énergétiques nouvelles. Au cours
de la transmission du karaté dans les pays occidentaux, l'image de
l'intensité et du volontarisme a été transmise mais elle a été coupée de
l'objectif de recherche énergétique qui lui donnait sens. A notre
époque, chercher à atteindre cet objectif en passant par le même chemin
n'est pas possible car l'art martial n'est plus la seule activité de
ceux qui le pratiquent. Pourtant, chercher une efficacité à long terme
est toujours d'actualité. Il faut trouver un chemin qui permette d'y
parvenir en élaborant une méthode qui passe par le développement du
bien-être, ce qui ne veut pas dire facilité car la méthode demande
volonté et persévérance.
Les arts martiaux
japonais constituent une formation qui, à partir du travail des
techniques gestuelles, s'étend au psychique. Et à la différence des
approches sportives et gymniques, les arts martiaux orientaux peuvent
être caractérisés par la tension vers une unité du corps et de l'esprit,
mais celle-ci reste le plus souvent mal définie ou inclue dans une
approche religieuse ou mystique dont il apparaît nécessaire de la
dégager.
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L'histoire du
sabre japonais montre que c'est seulement à un âge avancé que les adeptes
de sabre parviennent à intégrer l'ensemble des capacités propres au combat
martial et que cette intégration assurait, en combat effectif au sabre, la
victoire de maîtres âgés de soixante à soixante-dix ans ou même plus sur
de jeunes adeptes intensément entraînés.
Le premier,
Miyamoto Musashi (1584-1645) parvint à la fin de sa vie à mener des
combats où il obtenait la victoire sur un adversaire déterminé au combat à
mort sans lui porter de coup.
Cette forme de
combat a évolué mais représente aujourd'hui encore l'aboutissement
recherché dans la pratique du kendo. En kendo, les adversaires revêtus
d'armures de protection combattent avec des sabres en bambou (shinaï) avec
lesquels ils frappent de toute leur force en cherchant à porter un coup
décisif. La notion de kizeme ou combat d'énergie implique une
élaboration subtile de la relation entre les adversaires et une maîtrise
de la prévision des intentions de l'adversaire (yomi). Aujourd'hui
encore certains maîtres de kendo, âgés de quatre-vingt ans, dominent en
combat de jeunes adeptes bien entraînés. Le chemin de la progression en
kendo est beaucoup plus long qu'en karaté sportif et je pense que la
pratique du karaté doit s'inspirer de cet exemple en découvrant des
objectifs et des étapes de progression qui s'adaptent aux possibilités qui
s'ouvrent aux différents âges de la vie. |
Il s'agit de
dépasser les contradictions entre la recherche de la performance et le
maintien tout au long de la vie d'un équilibre physique et d'une
efficacité technique. Certaines méthodes d'entraînement sportif ne
conviennent plus passée la trentaine, alors que les possibilités du
corps humain peuvent être développées en substituant à la force
musculaire simple une subtilité technique basée sur une concentration et
une mobilisation de l'énergie meilleures.
Il existe en
effet des méthodes d'arts martiaux qui contribuent au maintien d'une
bonne condition physique et d'une efficacité technique aux différents
âges de la vie. Il convient d'enrichir le karaté de l'apport de
différentes méthodes de respiration et de développement de l'énergie et
du bien-être.
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D'après un texte de K Tokitsu, karatéka
d'origine japonaise et auteur de nombreux ouvrages sur les arts martiaux/
cf Bibliographie)
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